COMMUNIQUÉS

PRIDE MARSEILLE 2021 : TOUJOURS TROP ! PAR FIERTÉ MARSEILLE ORGANISATION

La 28ème édition de la Pride Marseille se déroulera du 24 juin au 3 juillet 2021. Ce dossier raconte comment les associations du territoire et l’équipe de la Pride ont décidé de dénoncer les normes et quel a été le cheminement pour arriver à ce mot d’ordre «TOUJOURS TROP». 

Faire bouger les normes !

Les années se suivent et les statistiques tombent. Les agressions, les gamins mis à la porte, les injures, et aussi parfois les meurtres font encore partie de notre paysage quotidien. Chaque année, on se demande si nous arriverons à bout de ces ignominies. Certes le Droit avance : la dépénalisation, la dé-psychiatrisation, le mariage, le Droit à la famille… mais il y a encore à faire sur la PMA, sur la transparentalité et sur la famille. Certes le quotidien de beaucoup de membres de notre communauté va mieux et certain·e·s d’entre-nous se sentent bien dans la Société. Pourtant, encore beaucoup de jeunes de la communauté se suicident, les personnes transgenres se battent pour faire leur transition et expliquer, faire son coming-out est encore difficile, beaucoup se sentent en souffrance dans ce monde hétéronormé qui ne laisse que peu de place à la différence. Les insultes fusent encore pour celles et ceux qui ne rentrent pas dans le cadre. 

Si le Droit est notre meilleur bouclier, il ne suffit pas. Ce sont les normes qu’il faut faire évoluer car ce sont elles qui façonnent le regard de l’Autre. Et c’est dans ce regard, dans cet Autre que se forge notre construction et notre identité. Les Fiertés sont là pour ça : Pour faire bouger les normes en questionnant la Société. Il faut réfléchir, remettre en cause les normes qui dictent nos regards et nos actions et ainsi aller au-delà des conventions. En plus de son rôle de revendication, de son rôle de visibiliser l’action des associations, de son rôle de valoriser la culture LGBTI+, l’équipe de la Pride Marseille a souhaité faire bouger les lignes, remettre ces normes en question en dénonçant les étiquettes qu’elles produisent.

Toujours trop

«Trop masculine»«trop effémin黫trop folle»«trop gouine» mais aussi «trop pute»«trop gros·se»«trop noir·. Ce «trop» renvoie à un référentiel que les membres de notre communauté ne souhaitent pas se voir imposer. Celui de l’hétérosexualité, celui de la masculinité, de la féminité, de la binarité des genres et des rôles de genre qui l’accompagnent. Ces codes sont ceux qui aboutissent aux étiquettes que l’on nous colle et inéluctablement aux insultes et aux préjugés qui aboutissent encore trop souvent aux discriminations et aux agressions. Ce sont ces étiquettes qui nous empêchent de vivre librement dans l’espace public, de nous construire dans nos familles, d’être visibles dans le monde du travail et dans la société en général. C’est ce que notre mot d’ordre «Toujours trop»dénonce cette année : Ce cadre lourd à porter qui n’a de sens que pour la majorité. Cette même majorité qui oublie les moins visibles, les minoritaires.

Dans une société qui évolue, qui d’autre que notre communauté LGBTI+ peut venir questionner les normes liées à la sexualité, aux modèles familiaux, aux corps ou au genre ? Celles et ceux qui décrivent les Marches des Fiertéscomme de simples manifestations festives (ou vulgaires selon qui s’exprime), passent à côté de tout un travail qui se traduit par une programmation militante riche, pour laquelle la Pride Marseille est reconnue. Cette réflexion et la programmation qui en résulte a pour objet de proposer une réflexion militante dans l’espoir qu’elle vienne nourrir les débats sociétaux. Les rendez-vous de la Fierté LGBTI+ sont le principal outil de notre communauté pour interpeller le public au-delà des revendications pour l’égalité des Droits. Ils sont le fer de lance politique de notre communauté pour aller questionner ce qui semble établi et gravé dans le marbre.

Le féminisme et la masculinité

Les combats homosexuels devenus plus tard LGBTI+ n’ont réellement commencé à peser dans l’histoire que depuis la seconde moitié du XXème siècle, alors que des traces importantes du féminisme apparaissent, quant à elles, dès le siècle des lumières. Ces mouvements avancent depuis en battant en brèche la hiérarchie sociale des sexes. Ils ont abouti à une situation qui s’est nettement améliorée dans nos sociétés occidentales pour les femmes. Pourtant les féminicides, le harcèlement, la place des femmes dans le monde du travail, dans l’espace domestique, dans nos propres associations nous montrent que ces combats sont loin d’être achevés et nécessitent d’exister pour faire sauter des verrous encore nombreux. Il s’agit de rééquilibrer les Droits et d’instaurer l’égalité dans la réalité et pas seulement dans les lois. Ce sont bien des normes sociétales dont il s’agit. Or, les mouvements féministes dont les luttes sont pourtant jalonnées par des chiffres macabres, peinent encore à faire bouger ces dernières lignes.

La solution ne viendrait-elle pas alors des hommes eux-mêmes, car c’est bien sur l’éducation de nos petits garçons que repose l’espoir d’une société dont le cercle des considérations serait plus large et surtout plus apaisé. Si les femmes ont depuis longtemps réfléchi à leur condition, la condition des hommes, elle, sous couvert de l’évidence, n’est pas souvent remise en cause. Les hommes, par leur position dominante, n’ont en effet aucune raison de la remettre en question ou même simplement de la réfléchir. Pourtant, comme l’a fait remarquer Elisabeth Badinter, être un homme se dit plus volontiers à l’impératif qu’à l’indicatif. «Sois un homme, un vrai» n’a en effet pas d’équivalent féminin. L’impératif, de fait, implique que cela ne va pas de soi. L’homme dans nos cultures comme dans de nombreuses civilisations est exhorté de prouver sa masculinité notamment dans sa jeunesse. Ces preuves, telles que les rites de passage dans certaines cultures, ou le sport par exemple dans nos modes de vies contemporains et occidentaux, sont omniprésentes. Il apparaît aussi que la masculinité se construit par la négation. Pour être «un homme, un vrai», pour ne pas être un bébé, pour ne pas être une femme ou un homosexuel, les garçons doivent souvent passer par une forme de lutte contre la féminité. Nous savons par Erick Erickson, depuis 1950, que l’acquisition d’une identité sociale passe par la différence autant que par la ressemblance mais cette relation par l’exclusion et la négation n’est-elle pas plus différentielle chez les garçons que chez les filles ?

Le dénigrement des femmes et des valeurs dites féminines ne viennent-elles pas tout simplement de l’éducation et de la construction sociale que l’on fait du genre ? Ainsi la réflexion autour de la masculinité ne serait-elle pas la principale clé pour résoudre les problèmes de sexisme ? Notre thématique a pour objectif de vous amener plus loin… 

Comment ne pas parler du genre ?

Nos détracteurs nous incrimineront encore en dénonçant notre obsession de la question du genre et notre rejet du déterminisme biologique. On pourrait leur répondre comme l’a fait Elisabeth de Fontenay que c’est pourtant bien la singularité de l’être humain que de refuser de s’en tenir à la fatalité biologique ! On pourrait aussi leur répondre que le genre est partout et surtout qu’il est institutionalisé par l’Etat lui-même, dès la naissance. Cette assignation n’est-elle pas elle-même une obsession visant à enfermer les individus dans une conception binaire ? Pire cette assignation de genre ne nous assigne-t-elle pas à un destin différent selon que l’on est un homme ou une femme ? Statistiquement, la réponse est implacable.

Les mouvements LGBTI+ ne nient pas les genres masculins ou féminins, ni les réalités anatomiques. Ils défendent une vision plus nuancée du concept du genre, bâtie sur une construction identitaire reléguant l’anatomie à la portion congrue : le genre est une construction sociale, culturelle, et par conséquent évolutive en fonction de l’époque et du lieu. Quant à l’anatomie, tant arguée par les conservateurs, on sait depuis 150 après JC, par Galien de Pergame que les deux sexes relèvent d’une anatomie commune. Même notre anatomie n’est pas si tranchée ! Nous sommes convaincus que le genre n’est qu’une construction socialeC’est nous qui fabriquons nos petites filles et nos petits garçons.

La question de la transidentité vient remettre en cause la pertinence de l’assignation à la naissance et notre conception si péremptoire et si binaire du genre. Nous voulons remettre en cause ce qui semble immuable comme notre communauté l’a toujours fait. Nous voulons aller éclairer les endroits les plus sombre de notre inconscient qui font perdurer les stéréotypes les plus ravageurs pour nos enfants. Cette réflexion soulève inéluctablement toute la fragilité du modèle binaire de nos cultures. Même les psychanalystes, en leurs temps, introduisaient déjà que la féminité et la masculinité n’étaient qu’une question de proportion et qu’elles étaient soumises à des variations considérables d’un individu à l’autre.

…ou plutôt de ses stéréotypes

Ce n’est pas tant le genre qui est remis en question que les stéréotypes et les rôles de genre. C’est donc bien le conditionnement lié à l’éducation et la hiérarchie qu’il implique qui est remis en cause. Le débat se situe sur l’inné versus l’acquis, chacun donnant à l’un plus d’importance qu’à l’autre. Un petit garçon aime-t-il se battre, aime-t-il le bleu parce qu’il est un petit garçon ou bien parce que nous lui transmettons depuis tant de générations qu’il ne sera un petit garçon que parce qu’il suivra ces exhortations. Pour commencer à y répondre, nous pourrions rappeler qu’au début du siècle le bleu était la couleur des filles et le rose celle des garçons… Tout est une question de normes !

Au-delà du genre, ce sont les normes inégalitaires qui lui sont liées et qui nous préoccupent. La défense de l’irréductibilité du masculin et du féminin est acceptable si elle n’est pas liée à l’inégalité, dans les Droits, dans la visibilité et dans la réalité quotidienne.

Notre communauté encourage elle-même les stéréotypes en valorisant parfois l’hyper-virilisation, en dénigrant et censurant la féminisation de certains hommes et inversement pour les femmes. La révulsion de certain.es à partager des lieux de Cruising, des applis de rencontre ou des toilettes avec des personnes transgenres est un exemple encore trop souvent rencontré. N’oublions jamais que cette gêne, cette haine est aussi intracommunautaire. Concernant la haine, les mots d’Otto Weininger nous interpellent : «on aime en autrui ce qu’on voudrait être, On hait ce qu’on ne voudrait pas être». Ainsion ne hait que ce dont on est proche (et que l’on veut éviter) et l’autre n’est en ce cas qu’un révélateur. C’est vrai dans notre communauté comme pour d’innombrables sujets.

Et si nous parlions des corps ?

Comment enfin, après avoir évoqué tous ces sujets, ne pas parler des corps. Ces corps qui par nature offrent à l’autre ce que nous sommes et donnent à l’autre cet illégitime droit de pouvoir le juger. Le corps de la femme d’abord, dans l’espace public, souvent jugé, commenté, insulté. Les corps transgenres, queers, tous ceux qui ne répondent pas clairement à la norme, à l’apparence que nous assigne la société sont constamment insultés. 

Les corps est le prétexte aux insultes, soumis en permanence au jugement de l’autre, à son regard. Le corps est le réceptacle de toute la violence qu’elle soit suggérée, verbale ou trop fréquemment physique. Alors que le corps est ce que nous avons de plus personnel, il fait l’objet d’assauts incessants qui, lorsqu’ils nous atteignent, sont souvent les plus douloureux et nous infligent les plus profondes cicatrices. Pour nos frères et sœurs transgenres, non-binaires et intersexes, le premier assaut est celui de l’assignation à la naissance qui constitue la mère de toutes les violences à venir. Violences qui ne peuvent s’atténuer que si la société, le législateur et le monde médical acceptent, collectivement, que cette assignation «initiale» ne soit pas une vérité absolue et qu’elle ne soit pas gravée dans le marbre.

Les normes sur la féminité, sur la masculinité, sur les corps, sur le genre sont la source des discriminations. Notre communauté par définition est souvent en dehors de ces modèles. Notre volonté n’est pas de nier ces normes dans lesquelles, d’ailleurs, beaucoup se retrouvent. Notre volonté est de les questionner et d’ouvrir ces normes à d’autres possibles. Nous avons montré que nous pouvions réussir d’autres modèles d’amours et de familles. Notre volonté est que chacun et chacune puisse être libre. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu créer cette année une série de podcasts qui vient questionner certaines de ces normes. Notre campagne de communication s’est axée sur les conséquences de ces normes et sur les étiquettes que l’on supporte et que l’on a tant de mal à décoller. Les associations quant à elles proposent des expositions, des projections, des conférences qui viennent interroger les normes. A vous à présent de vous questionner et de remettre en question votre propre regard, vos stéréotypes et les normes que vous imposez à l’Autre.

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